La Gazette

des Comores

Interview : Fatouma N. Halifa : « Poursuivre l’éveil de la jeunesse africaine »

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Interview : Fatouma N. Halifa : « Poursuivre l’éveil de la jeunesse africaine » © : HZK-LGDC

Convaincue que l’Afrique peut être perçue autrement, Fatouma Nassor Halifa, raconte dans ‘’Hongera Afrika’’ (L’Harmattan), livre à paraître le 4 Avril prochain, cette nouvelle image du continent noir, sa face cachée. L’auteure dénonce dans son œuvre cette « image manipulée, tronquée et biaisée » en parlant de la culture africaine et ses enjeux dans la conjoncture actuelle, de l’échec de la gestion des indépendances de l’Afrique, explore aussi le mécanisme de la fabrique du non développement et évoque le paradoxe de l’Aide au développement. Interview.


Question : Parlez nous de votre livre Hongera Afrika

Fatouma Nassor Halifa : C’est un livre à l’image du colibri. Dans ce livre, j’ai retenu le choix de parler d’une nouvelle image de l’Afrique et de sa face cachée. Celle dont on nous parle timidement ou presque pas du tout. C’est-à-dire le côté positif et innovant de l’Afrique, en passant par l’analyse de l’actuel imaginaire africain sur les réalités de l’Europe et de l’Afrique (plus précisément de l’Afrique subsaharienne francophone). Je me suis focalisée sur le thème des représentations de l’Afrique, de son image manipulée, tronquée et biaisée et Je cherchais comment briser et modifier ces récits stéréotypés et déconstruire ces narratifs accablants de l’Afrique. Ce choix du titre est une manière de ne pas parler que de la face sombre qui résulte souvent de la convention néolibérale. Ce sujet de sursaut cherche à annoncer les changements positifs et comment les pérenniser et porter une contribution à la construction d’une image positive de l’Afrique.

Question : Quels sont les thèmes abordés ?

FNH : Après un bref rappel sur le poids de l’héritage de la colonisation et ses empreintes dans l’imaginaire africain, le livre aborde les thèmes de l’éducation précoloniale à l’éducation postcoloniale et d’une éducation adaptée pour une Afrique prospère. Il parle de la culture africaine et ses enjeux dans la conjoncture actuelle, de l’échec de la gestion des indépendances de l’Afrique. Il explore aussi le mécanisme de la fabrique du non développement et évoque le paradoxe de l’Aide au développement, l’échec des stratégies du libre-échange en Afrique et les effets pervers des échanges mondiaux comme la mise en échec du cycle de Doha, aussi appelé cycle de développement et ses conséquences pour l’Afrique.

Dans ce livre on se pose aussi la question de Comment l’Afrique va-t-elle évoluer dans ce nouveau monde sans subir une nouvelle domination étrangère ? De « Consensus de Washington », auquel l’Afrique adhère, au « Consensus asiatique » auquel l’Afrique subsaharienne semble s’intéresser. Quelle sera la nouvelle place de l’Afrique dans le monde multipolaire ?  Il est aussi question de la création de la nouvelle relation France-Afrique.

Enfin, le livre offre des perspectives novatrices sur la voie à suivre pour libérer le potentiel économique du continent dans ce nouveau monde et propose l’éventualité création d’un modèle propre de développement de l’Afrique capable de propulser leur développement adapté aux besoins de la réalité africaine et de mettre fin aux théories de développement imposées par l’Occident.

Question : Selon vous, quels devront être les engagements de la jeunesse africaine face à ce fléau, à ces maux qui rongent le continent ?

FNH : Un élan progressiste se dessine et décide de briser ces obstacles géopolitiques etgéostratégiques du développement de l’Afrique en privilégiant de commencer par décoloniser les esprits. Et pour y arriver, il faudrait poursuivre l’éveil de la jeunesse africaine sur la question de la colonisation, ses tourments, son esprit, ses legs, ses mythes et ses réalités, et ses effets délétères.Depuis les années soixante, les héritiers du système colonial ou néocolonialisme ont inventé et attribué à l’Afrique et les autres pays du sud des expressions de type : le tiers monde, les pays sous-développés, les pays en voie de développement, les pays les moins avancés, les pays pauvres très endettés (PPTE). Ils ont fait en sorte que la pauvreté soit ressentie en Afrique comme faisant partie de leur culture. Il faut refuser de porter ces définitions qui maintiennent l’idéologie hégémonique qui, à la longue ont réussi à affaiblir le mental des Africains. C’est pour cette raison que l’utilisation désormais des expressions positives comme « l’Afrique continent de l’avenir », « l’Afrique audacieuse », « l’Afrique qui gagne », « l’Afrique qui émerge », etc., nous paraît cruciale pour afficher le bon départ de la nouvelle Afrique avec une mentalité de gagnant.Il faut écarter l’esprit défaitiste et la culture de la pauvreté.

Question : Il est établi dans le résumé de la quatrième de couverture que « ce livre ne cherche pas à trop idéaliser la culture comme remède miracle à tout ». Selon vous qu’est-ce qui manque à l’Afrique pour casser ces chaînes ?

FNH : Dans la conjoncture actuelle, les enjeux de la culture africaine se trouvent au cœur de plusieurs discussions. En 2021, le thème retenu de la journée du patrimoine mondial africain était « La place de la culture, de l’art et du patrimoine dans le développement du continent africain ». Toutefois, il faut reconnaître qu’il y a un grand fossé entre les discours et la réalité sur le terrain. La reconnaissance de la culture comme étant une ressource économique ne doit pas rester un slogan et un discours fantaisiste lors des conférences des institutions internationales. Elle doit ainsi se traduire par l’investissement de plus en plus pour la sauvegarde et pour la protection des richesses en danger, la construction des infrastructures, la formation des experts et le personnel nécessaire pour assurer la conservation et la préservation du patrimoine culturel ainsi que les autres métiers y afférents.

Pour faire de la culture une force motrice, les dirigeants africains doivent faire de la culture une priorité dans les programmes de l’éducation. Des cours d’éveil à la découverte de l’art et de la culture africaine peuvent être instaurés dans les écoles afin de transmettre, dès le plus jeune âge, la valeur et l’importance de la culture et de l’art africains. Avec la pauvreté et l’ignorance, beaucoup de pièces archéologiques et culturelles sont volées et vendues à des antiquaires locaux pour une bouchée de pain, et ces derniers les revendent ensuite à des collectionneurs étrangers. Il est impératif d’éduquer et sensibiliser les populations locales sur la richesse que représentent ces objets, leur valeur culturelle et patrimoniale. Conscientiser la population sur le fait que ce ne sont pas de simples objets, mais qu’il s’agit de leur identité et de leur dignité.

Question : De nos jours, de plus en plus de mouvements de soulèvement ont lieu pour lutter contre le néocolonialisme dans le Sahel plus précisément. Que pensez-vous de ce phénomène ?

FNH : Je salue le courage ; cette dynamique qui cherche à faire bouger les lignes car pour construire la nouvelle Afrique, il faut des vrais dirigeants capables de rompre avec les diktats du néocolonialisme. Toutefois ces actions doivent être menées en bonne intelligence, et éviter de semer le chaos.

 Un dernier mot….

 

FNH : J’aurai bien espéré que les institutions africaines et européennes plus particulièrement les médias au lieu de se focaliser sur ce qui ne va pas en Afrique, de mettre en lumière ce qui marche. L’Afrique représente le nouvel eldorado, mais pour l’être réellement il serait judicieux que les Africains se mettent au travail productif de leurs terres et de leurs océans, de leurs sous-sols, de leurs plantes, de leurs fonds marins, de leur environnement pour créer les richesses des nations africaines puisque nous prétendons avoir les connaissances et qualités requises.

Propos recueillis par A.O.

 

Encadré

 

Ancienne présidente de la Chambre de Commerce de l’Industrie et de l’Agriculture (CCIA) Ngazidja, ancienne présidente de l’Association comorienne du tourisme (ACT), Fatouma Nassor HALIFA est aussi cheffe d’entreprise. Comorienne, elle est titulaire d’une Maitrise (AES) mention développement social à l’Université Paris 8 et d’un Master 2 recherche en Géopolitique à l’Institut Français de Géopolitique (IFG). Elle est l’auteure de l’ouvrage « Le séparatisme aux Comores, Enjeux géopolitique (Cœlacanthe, 2009.).

 

 


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