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Libre opinion “Le Anda, dans sa forme ostentatoire actuelle, agit comme un catalyseur des comportements de détournement et de corruption”

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Libre opinion “Le Anda, dans sa forme ostentatoire actuelle, agit comme un catalyseur des comportements de détournement et de corruption” © : HZK-LGDC

Symbole de prestige et de cohésion communautaire, le Anda est un pilier de la « culture comorienne ». Mais derrière la fête et le faste, nous devons y voir un moteur direct de la corruption, alimentant un cercle vicieux d’endettement, de clientélisme et de détournement de fonds publics. Aux Comores, peu de « traditions » ont autant de poids que le Anda. Cette cérémonie matrimoniale, considérée comme l’aboutissement du mariage coutumier, est un événement social majeur. Elle se mesure souvent à l’ampleur des dépenses : buffets somptueux, parures d’or, concerts, et une procession qui mobilise tout le village. Pour beaucoup, c’est l’occasion de gravir un échelon social et d’obtenir le titre de “grand notable”. Mais le coût — pouvant atteindre plusieurs millions de francs comoriens — laisse parfois des cicatrices financières profondes, et alimente un système où la corruption trouve un terrain fertile.


Un prestige social à prix d’or

Dans une société où la réussite est souvent jugée par la capacité à “faire le Anda”, la pression est forte. Fonctionnaires, commerçants, expatriés… tous ressentent cette obligation sociale. « Si vous ne faites pas le Anda, vous restez un éternel « idiot » aux yeux de la communauté », m’a signifié un jour mon père. Le problème est que “pour financer ce prestige, certains n’hésitent pas à recourir à des moyens illégaux”.

Quand la tradition rencontre la corruption

La corrélation est pointée par plusieurs observateurs : des employés publics détournent des fonds, gonflent des factures ou acceptent des pots-de-vin pour combler le budget du Anda. D’autres s’endettent lourdement auprès de proches ou de réseaux informels, ce qui les rend vulnérables au clientélisme politique. « On voit des élus et détenteurs de pouvoirs publics utiliser l’argent public pour financer leur Anda ou celui d’un proche, sachant que cela leur assure un capital de popularité », dénoncent des activistes dans les réseaux sociaux.

L’école traditionnelle de la corruption

Aux Comores, la corruption, les vols et détournements ne s’apprennent pas seulement dans les bureaux : ils s’enseignent dans les places coutumières. Dès le jeune âge, on inculque l’idée que détourner l’argent public est une preuve de force et d’intelligence. On y apprend à ‘gagner plus que les autres’ et à considérer toute dénonciation comme une agression contre le système coutumier, ce qui peut valoir des sanctions sociales. Comme l’a dit le chimiste français Lavoisier : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » – et ici, la règle se répercute dans l’administration : le plus fort est celui qui vole l’argent public.

Ce climat atteint des sommets absurdes : avec un salaire de 50 000 KMF, certains peuvent se permettre de réaliser un grand mariage coûtant jusqu’à 100 000 000 KMF, sous les yeux de tous, en les invitant dans le madjliss pour faire une démonstration de force. Celui qui ose critiquer sera perçu comme jaloux. Pire, l’accomplissement d’un grand mariage ne concerne pas seulement l’auteur : cousins, collègues, voisins et même de simples connaissances sont appelés à contribuer financièrement, souvent au-delà de leurs moyens, pour soutenir leurs proches. Par honte ou pour éviter l’exclusion, certains n’hésitent pas à détourner de l’argent public. Une guichetière peut voler deux billets de banque pour participer au wukumbi de sa voisine, parfois avec l’intention de rembourser plus tard, mais cette pratique peut vite devenir la norme et se généraliser.

Le Coran condamne fermement le vol et l’appropriation illégitime des biens publics. Allah dit dans la sourate Al-Baqara (2:188) : « Et ne dévorez pas mutuellement vos biens par des moyens illégaux et ne vous en servez pas pour soudoyer les juges afin de dévorer une partie des biens des gens injustement, alors que vous savez. » Ce verset met en garde contre l’utilisation de la ruse ou de l’influence pour s’accaparer ce qui ne nous appartient pas.

De même, la vantardise et l’ostentation sont rejetées. Dans la sourate Al-Hadid (57:20), Allah rappelle : « Sachez que la vie présente n’est que jeu, amusement, vaine parure, course à l’orgueil entre vous et compétition dans l’acquisition des richesses et des enfants. » Le Anda, lorsqu’il devient une compétition d’orgueil et de dépense démesurée, s’éloigne de l’esprit de modestie et de solidarité voulu par l’islam.

Des conséquences socio-économiques lourdes

L’argent englouti dans ces cérémonies, souvent importé sous forme de produits de luxe, ne profite guère à l’économie locale. Il accentue les inégalités, pousse au surendettement et nourrit un cercle vicieux où le vol des deniers publics devient un moyen de survie sociale. Ceux qui refusent de participer à cette course au prestige risquent la marginalisation. Ce système crée une culture où l’intégrité est perçue comme une faiblesse et où la corruption est banalisée.

En gros, le Anda, dans sa forme ostentatoire actuelle, agit comme un catalyseur des comportements de détournement et de corruption aux Comores. Soutenu par un système coutumier qui valorise la dépense excessive et protège les auteurs de ces abus, il contribue à ancrer dans la société l’idée que le prestige justifie tous les moyens. Les enseignements du Coran rappellent pourtant l’interdiction claire du vol et de l’ostentation. Les ignorer, c’est non seulement trahir les valeurs religieuses, mais aussi mettre en péril la justice sociale et le développement du pays.

Dr Mistoihi Abdillahi, Écrivain et Sociologue

 


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