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des Comores

Interview : « L’implication des communautés est clé pour la réussite à long-terme des interventions » »

Interview :  « L’implication des communautés est clé pour la réussite à long-terme des interventions » » © : HZK-LGDC

Depuis sa mise en place dans le pays, l’ONG Dahari ne cesse d’apporter son soutien aux communautés locales tant au niveau de l’agriculture qu’à la pêche. Récemment, il a signé des contrats avec les communautés pour la restauration des forêts à Anjouan et une nouvelle étude sur les Roussettes Livingstone. Misbahou Mohamed, le co-directeur de l’ONG Dahari accepté de répondre aux questions de La Gazette des Comores/HZK.


Pouvez-vous résumer la mission principale de Dahari en quelques mots ?

Misbahou Mohamed : Nous appuyons les communautés rurales à restaurer les écosystèmes des Comores

Quels sont les grands axes d’intervention de l’ONG sur le terrain ?

M.M : Nous avons trois programmes d’intervention : forêts, agroforêts, et marin. Nous travaillons dans plusieurs régions d’Anjouan, avec un focus particulier sur le sud autour de la forêt de Moya, et nous avons une intervention au nord de la Grande Comore autour du massif de la Grille.

Comment mesurez-vous l’impact des actions de Dahari ?

M.M : Nous mesurons notre impact sur la forêt via des images satellite et des études de végétation du terrain, sur les récifs via des suivis des prises de pêche et de la santé des récifs en plongée et en apnée. Sur les deux programmes nous mesurons notre impact sur la population via des enquêtes socio-économiques et des groupes focaux pour comprendre les perceptions. Nous mesurons également le taux de survie des 50,000 arbres plantés par les agriculteurs chaque année. Ce sont quelques indicateurs clés. Nous collaborons avec des chercheurs des Universités comme Oxford et Bangor aux Royaume-Uni pour assurer la rigueur des méthodes appliquées, car la mesure de l’impact réel n’est pas une tâche facile.

Depuis cette année, vous avez comme ambition la restauration des forêts. Comment évolue le processus ? Est-ce que les communautés locales y adhèrent ?

M.M : Notre approche se base sur la signature d’accords avec les agriculteurs qui possèdent des terres dans les hauts plateaux d’Anjouan, dans les zones clés pour sécuriser les ressources en eau et conserver la biodiversité endémique des Comores. Les signataires doivent mettre leurs champs en jachère pour permettre à la forêt naturelle de se régénérer, et en contrepartie ils reçoivent des paiements en espèces tous les six mois. Nous avons vu une forte mobilisation autour de cette approche – les agriculteurs comprennent bien les impacts de la perte de la forêt, toutefois ils réclament des alternatives. Nous avons signé les premiers 30 accords pilotes, avec d’autres prévus bientôt. L’approche est complémentaire aux aires protégées, et donne un mécanisme pour protéger et restaurer les grands arbres restants. Nous collaborons avec le Réseau National des Aires Protégées (RNAP) sur cette stratégie, et la gestion de la zone de la forêt de Moya est déléguée à Dahari pour tester l’approche.

Vous appuyez énormément les agriculteurs notamment par de nouvelles techniques pour rendre la récolte meilleure. Que pouvez-vous nous dire dans ce sens ?

M.M : Auparavant nous avons appuyé 3000 agriculteurs par an à Anjouan et à la Grande Comore pour améliorer leurs rendements pour les productions vivrières et maraichères. Depuis l’année dernière nous avons décidé de réduire le programme à 25 ‘fermiers’ pour tester davantage des méthodes agro-écologiques capables de protéger les sols tout en améliorant les rendements. Par exemple, nous voyons que les pratiques actuelles pour les cultures maraichères sont dangereuses : l’utilisation abusive des pesticides met en danger la santé humaine et la santé des sols. Toutefois, les pesticides sont simples à utiliser et pas chers pour les agriculteurs. Nous avons voulu passer par une période de test pour développer des techniques de remplacement qui pourraient faire la différence comme les biopesticides, les associations de cultures, les semences de variétés améliorées, avant d’envisager de les diffuser à grande échelle dans quelques années. Nous collaborons avec l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, la Pêche et l’Environnement (INRAPE) qui a une grande expérience dans le domaine. Et nous nous inspirons beaucoup de Madagascar, notamment via l’appui de notre partenaire l’ONG française GRET.

Sur la conservation marine, quelles sont les activités que l’ONG a mises en place avec l’appui des communautés locales ?

M.M : Nous venons de publier notre nouvelle stratégie marine après 18 mois de réflexions en intégrant des contributions des pêcheurs, de nos partenaires nationaux comme la Direction Générale des Ressources Halieutiques (DGRH) et le Syndicat des Pêcheurs, et de divers partenaires internationaux. Nous allons nous concentrer sur l’accompagnement des pêcheurs pour la mise en place de réserves permanentes – en 2021, nous avons facilité la création de la première réserve permanente pour les Comores gérée par des pêcheurs. Cette réserve permanente fournit déjà des bénéfices (selon 75% des pêcheurs enquêté.es en 2023), comme le retour de certaines espèces de poissons et l’abondance accrue d’autres. Nous voyons que les réserves permanentes sont un modèle adapté pour restaurer les récifs, qui sont très dégradés par la pression de pêche et les pratiques destructives, mais très importants pour la sécurité alimentaire et l’adaptation au changement climatique. Nous allons compenser les restrictions de pêche causées par les réserves au travers d’incitations qui visent à améliorer les moyens de subsistance et renforcer l’adhésion aux mesures de gestion – nous avons déjà testé par exemple des congélateurs solaires ou des dispositifs concentrateurs de poissons (DCP). Nous allons également continuer à appuyer des mesures de gestion complémentaires comme l’utilisation des harpons en bois au lieu des barres en fer – par exemple, 79% des pêcheuses dans nos zones d’intervention ont utilisé le harpon en bois en 2024, comparé à 0 au début de nos campagnes de sensibilisation en 2019.

Au niveau des Roussettes de Livingstone, que montrent les récentes études à ce sujet ?

M.M : Nous sommes en cours de finaliser l’analyse des résultats d’une étude sur les mouvements de la Roussette effectuée grâce aux balises GPS attachées aux chauve-souris (avec un permis de la Direction de l’Environnement). Grace à cette étude, nous avons identifié des nouveaux dortoirs pour l’espèce, également des zones et arbres importants pour la nourriture. La découverte des nouveaux dortoirs a entrainé une augmentation de l’estimation de la population à entre 1200 et 1500 individus. Le comptage national de l’espèce est un travail que nous effectuons chaque année en collaboration avec le Parc National de Mohéli, le Parc National du Mont Tringui et l’Université des Comores.

Comment l’ONG collabore-t-elle avec les communautés locales pour assurer leur implication active ?

M.M : L’implication des communautés est clé pour la réussite à long-terme des interventions, ce n’est pas toujours facile aux Comores vu le manque de cohésion sociale et d’institutions de gouvernance au niveau local. Nous avons une équipe de 60 personnes sur les deux îles qui comprennent des techniciens du terrain et des relais communautaires recrutés depuis les villages d’intervention. Les capacités de mobilisation de l’équipe sont clé donc nous renforçons ça via des formations régulières. Nos responsables prennent également le temps de connaître, consulter et impliquer les leaders villageois et les autorités locales dans nos actions. Nous essayons d’écouter au maximum les gens, nous les intégrons dans les différentes décisions et nous nous efforçons de partager les résultats des différentes études dans les communautés pour favoriser les discussions et l’engagement dans nos actions. Nous effectuons également des enquêtes régulières pour écouter davantage, tirer des leçons des réussites et échecs et adapter nos interventions de manière collaborative.

Propos recueillis par MY

 


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