La Gazette

des Comores

Sitti Djaouharia : « Nous sommes en récession depuis 2019 »

Sitti Djaouharia : « Nous sommes en récession depuis 2019 » © : HZK-LGDC

L’attente pour la fixation du prix de la vanille verte se prolonge, malgré l’ouverture de la campagne depuis plus de deux mois. La Gazette des Comores s’est entretenue avec Sitti Djaouharia Said Zaina ep Chihabiddine, présidente de l’ACEPR. Interview.


Sitti Djaouharia : Les opérateurs de la filière avec les autorités ont décidé de retarder stratégiquement la fixation du prix de la vanille verte de la récolte 2023 pour s’assurer d’avoir un prix qui soit dans les clous du marché. Et la seule façon de le faire est d’attendre que Madagascar lance sa grande campagne. Tout le monde sait que le cours mondial de la vanille est donné par Madagascar. En homme avisé, le ministre de l’agriculture a décidé de tirer les enseignements de la campagne 2004, au cours de laquelle les Comores ont fixé un prix 5 fois plus cher que Madagascar à l'origine de la ruine de la quasi-totalité des préparateurs de vanille. Pour la préparation de cette campagne, nous nous sommes rencontrés à 3 reprises, nous avons maintenant assez d’éléments pour fixer un prix. En parallèle, nous avons recommandé une mission à Madagascar pour que tous les intervenants de la filière touchent du doigt la réalité du marché d’aujourd’hui.  Il est vrai qu’entretemps les préparateurs font un lobbying fort auprès des autorités pour empêcher la publication d’un prix de la récolte 2023 tant que l’État n’apporte pas de solution concrète pour les stocks de 2022. Une démarche qui, selon moi n’est pas raisonnable ; on ne peut pas prendre les producteurs en otage !

 

 Les paysans redoutent une chute importante du prix des gousses. Pourquoi cette dégringolade d’une année à une autre ?

 

S.D. : Les producteurs ont de sérieuses raisons de craindre un effondrement des cours. Ils connaissent eux aussi les tendances du marché. La dégringolade comme vous dites ne se fait pas d’une année sur l’autre, elle est cyclique. C’est généralement des cycles de 5-10 ans. Et c’est lié à la nature de notre produit. Nous vendons une matière première, nous sommes donc tributaires de la loi de l’offre et de la demande. Cette règle si cruelle, peut être parfois édictée par les aléas climatiques de notre sous-région. Dans le monde, les reports de stocks sont importants, du coup, les acheteurs ne sont pas inquiets. Ils ont adopté une position attentiste. De toutes les façons, les producteurs savent qu’il y a des hauts et des bas dans cette filière et que ce n’est pas la première fois qu’un saut vertigineux aura lieu sur les prix. Mais il est vrai que vendre une matière première qui plus est périssable nous rend particulièrement vulnérables !

 

Selon le ministre de l’agriculture, le pays se retrouve avec un important stock de vanilles invendues de la campagne de l’année dernière. Viendront s’ajouter 60 tonnes prévues cette année. Ne craignez-vous pas à une crise qui viendra plonger une filière qui peine à sortir la tête hors de l’eau ?

 

S. D. : Il y a effectivement un stock invendu de la récolte 2022, détenu par les préparateurs et les exportateurs, auquel viendra s’ajouter la nouvelle récolte. Mais, je pense que Monsieur le Ministre est trop optimiste en tablant sur 60 tonnes pour la nouvelle récolte. En Grande-Comore nous avons observé une baisse considérable de la productivité.

La crise n’arrive pas aujourd’hui, nous sommes en récession dans la filière depuis 2019, sauf que nos autorités et les préparateurs ont pris le parti de fermer les yeux. La meilleure preuve c’est que l’État a subventionné les invendus des préparateurs cette année-là. Nous risquons donc de nous enfoncer davantage ! A titre de rappel, nous exportateurs, avions quitté la table des négociations de l’interprofession en 2022, pour protester contre le prix imposé, nos analyses de marché montraient clairement qu’on allait droit dans le mur ! Chacun doit assumer ses responsabilités maintenant. Nous exportateurs avons exécuté la structure de prix officielle de 2022 en l’état. Nous avons acheté aux préparateurs qui l’ont souhaité à 70 000 KMF/kg et nous avons réglé les autres opérateurs en conformité avec la l’arrêté portant structure de prix 2022. La chose à faire pour éviter un effondrement de la filière vanille aujourd’hui est de soutenir les producteurs pour qu’ils continuent à féconder la vanille malgré le cours actuel. L’État ne peut pas continuer à fixer un prix de vanille verte et des taxes à l’export, c’est un non-sens ! Il faut laisser le marché se réguler et soutenir le maillon le plus important de la chaine que sont les producteurs. Cela passera par une subvention au kg de vanille verte en faveur des producteurs et non une imposition d’un prix fort qui rendra notre récolte 2023 encore non compétitive. Nos autorités doivent comprendre que soutenir la production locale ne doit pas rimer avec non compétitivité de nos produits à l’export.

 

Nos voisins malgaches sont confrontés à des résidus de nicotine retrouvés dans les gousses, ce qui a emmené l’UE à revoir la réglementation en ce qui concerne Madagascar. Devons-nous nous inquiéter pour autant ?

 

S. D. : Nous sommes logés à la même enseigne ! Des études réalisées par Ecocert -l’organisme de certification le plus réputé- sur plusieurs lots de vanilles provenant de plusieurs terroirs, avaient démontré que la nicotine était une composante intrinsèque de la vanille. De ce fait, la nicotine avait été enlevée de la liste des résidus à rechercher dans la vanille biologique. A partir de cette année 2023, la règlementation européenne a effectivement changé et le niveau de tolérance a été descendu à 0, 02mg/kg.  Étant donné que par le passé, les analyses révélaient des taux supérieurs à ce seuil, nous avons donc de bonnes raisons d'être préoccupés, surtout pour ceux qui commercialisent la vanille biologique. Ceci dit, il convient de souligner qu’aux Comores, la nicotine n’est pas le seul résidu qui nous empêche de dormir, le pays est maintenant infesté par de multiples pesticides dont la plupart sont bannis des pays européens. Les risques de contamination croisés sont élevés. A titre d’exemple, un pesticide comme le chlorpyrifos interdit en Europe même pour les produits conventionnels, circule librement dans le pays.   Nous avons donc besoin que l’INRAPE, en sa qualité d’autorité de régulation, joue son rôle pour nous éviter une catastrophe dans ce domaine. `

 

Propos recueillis par Maoulida Mbaé

 


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